Comment un âne a-t-il réussi à surprendre la critique d’art ?
Choses à Savoir ART - A podcast by Choses à Savoir
Categories:
Il est parfois difficile d’arriver à formuler une critique consistante des enjeux liés à l’art contemporain sans se perdre dans une certaine subjectivité. Mais quand les mots ne viennent pas, alors on leur préfère les actes. Et c’est exactement de là que part la démarche mise en place par l’artiste Roland Dorgelès. Ce dernier est un écrivain et journaliste français, ayant, entre autres, écrit le roman nommé Les Croix de bois, inspiré de son expérience de guerre, qui le rendra célèbre. Accompagné de ses camarades du cabaret du Lapin Agile, ils vont défrayer la chronique dans le Paris du début du 20ème siècle. Mais alors quelle est cette histoire fomentée par Dorgelès et ses camarades ? Le 10 mars 1910, dans la salle 22 du Salon des Indépendants de Paris, une exposition d’art annuelle, le public et la critique découvrent une huile sur toile de 81 centimètres de long sur 54 centimètres de large dénommée “ Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique “. Il s’agit d’un paysage, dont la partie haute est recouverte de vives teintes rouges-orangées et dont la partie basse est peinte en bleu vert, le tout formant un coucher de soleil marin relativement abstrait. L'œuvre est signée Joachim-Raphaël Boronali, un peintre qui serait né au 19ème siècle à Gênes, en Italie. Quelque temps plus tard, cet artiste; jusqu’alors inconnu; publie dans les journaux le manifeste d’un parti dont il souhaite être le chef de file, le parti de l’excessivisme. Les critiques d’art s'intéressent au tableau, et les avis semblent partagés, certains le trouvant singulier, quand d’autres se montraient plus sceptiques, comme Guillaume Apollinaire, bon témoin de la vie artistique de l’époque, qui je cite, écrivit que “Boronali ne mystifia personne”. Une fois la curiosité des journalistes et du public attirée, la supercherie est dévoilée par Roland Dorgelès. Huissier à l’appui, il révèle au directeur du journal l’Illustration, que le tableau Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique est une œuvre peinte par un âne dénommé Aliboron dit “Lolo”. Le nom de l’artiste Boronali n’est que l’anagramme du surnom de l’âne. Dorgelès explique avoir emprunté l'âne au tenancier du cabaret, le célèbre père Frédé, et en présence d'un huissier de justice, maître Brionne, avoir fait réaliser un tableau par Lolo à la queue duquel on avait attaché un pinceau. Chaque fois que l’on donnait une carotte à Lolo, il remuait vivement la queue, et par la même occasion, peignait la toile qui sera ensuite exposée. Dorgelès explique avoir construit ce coup d’éclat pour, je cite, « montrer aux niais, aux incapables et aux vaniteux qui encombrent une grande partie du Salon des indépendants que l'œuvre d'un âne, brossée à grands coups de queue, n'est pas déplacée parmi leurs œuvres. » Plusieurs photographies retracent de bout en bout cette histoire et sont disponibles en ligne. L'œuvre de l’âne Lolo restera néanmoins bien plus fréquentée après les révélations de Dorgelès qu’avant, et sera exposée à plusieurs reprises ces dernières années, dont une fois en 2016 au Grand Palais de Paris dans le cadre de l'exposition Carambolages. Voir Acast.com/privacy pour les informations sur la vie privée et l'opt-out. Hébergé par Acast. Visitez acast.com/privacy pour plus d'informations.